Avdat la nabatéenne
- Albert Benhamou
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En 2005, l'UNESCO a inscrit les sites nabatéens d'Israël, situés le long de la route de l'encens, sur sa liste du patrimoine mondial. Cette route (ou plutôt ce réseau de routes) reliait des contrées lointaines du Yémen et de l'Éthiopie, à travers la péninsule arabique, et traversait le désert du Néguev, dans l'actuel Israël, pour atteindre les ports de la Méditerranée. Les Nabatéens étaient un peuple nomade qui parcourait ces vastes déserts pour vendre leurs précieuses marchandises, comme la myrrhe et l'encens, aux peuples du bassin méditerranéen. Ils construisaient de nombreux relais le long de cette route, principalement des caravansérails, appelés khans en arabe, pour permettre à leurs caravanes de chameaux de faire halte pour la nuit, dans un abri fortifié.

L'élément déterminant pour l'emplacement de ces stations était la présence d'eau, qui, dans le désert du Néguev, n'est présente que durant l'hiver pluvieux et ses crues saisonnières. En effet, dans cette région du Néguev, les précipitations annuelles n'atteignent qu'environ 80 mm : la pluie est insuffisante, mais les crues torrentielles permettent de remplir les citernes et de tenir plusieurs mois. Les Nabatéens traversaient ces déserts à la période propice de l'année.
Voici un bref historique de ce peuple ancien et d'Avdat, principal site archéologique nabatéen que vous pourrez visiter en Israël si vous explorez le sud du pays.
Histoire des Nabatéens
Selon la tradition, les Nabatéens descendaient d'un patriarche biblique nommé Nebaïoth, fils aîné d'Ismaël, fils d'Abraham (pour plus d'informations, cliquez ici et consultez l'année 1589 av. J.-C.). Ils avaient développé leur commerce à travers les déserts de la péninsule arabique, de la même manière qu'un peuple biblique voisin, les Madianites, également descendants d'Ismaël, avaient développé leur commerce à travers la péninsule du Sinaï vers l'Égypte. Leur existence est mentionnée dans la Bible lorsque Joseph fut vendu par ses frères :
Des marchands madianites passèrent par là ; ils retirèrent Joseph de la fosse et le vendirent aux Ismaélites pour vingt sicles d'argent. Ceux-ci l'emmenèrent en Égypte. (Genèse 37:28)
Il est à noter que le prix payé pour Joseph, 20 sicles d'argent, correspondait effectivement au prix d'un esclave mâle dans l'Antiquité. Le prix est mentionné dans la Bible :
Si l’enfant a entre cinq et vingt ans, son estimation sera de vingt sicles pour le garçon et de dix sicles pour la fille. (Lévitique 27:5)
Plus de mille ans plus tard, Judas reçut trente pièces d’argent pour trahir Jésus, soit environ le prix d’un esclave :
Alors l’un des douze [disciples], celui qu’on appelait Judas Iscariote, alla trouver les grands prêtres et leur demanda : “Que me donnerez-vous si je vous le livre [Jésus] ?” Ils lui comptèrent trente pièces d’argent. (Matthieu 26:14-15)
À partir du Ve siècle avant notre ère, les Nabatéens étendirent leur influence jusqu’aux rivages de la mer Méditerranée, principalement vers le port de Gaza (pour l’histoire de l’ancienne Gaza, cliquez ici). Ils purent le faire car la région du Levant avait été dévastée par les invasions successives des Assyriens et des Babyloniens. Les anciens royaumes d'Aram, de Phénicie, de Samarie, de Juda et de Philistie furent entièrement anéantis et leurs populations déplacées. Les Nabatéens comblèrent le vide dans la région désertique du sud en établissant des comptoirs le long des routes nomades et en reconstruisant un port à Gaza pour exporter leurs marchandises précieuses. Leur capitale était Pétra, dans l'actuelle Jordanie, située à la frontière entre les anciens royaumes de Moab et d'Édom.
Avec la période perse, la paix régna sur un vaste empire homogène composé de 127 provinces. À cette époque, la province de Judée commença à se reconstruire avec le retour des Judéens (Juifs) à Sion (Jérusalem). De leur côté, les Nabatéens purent développer davantage leur commerce, sous la protection de l'empire perse, bientôt suivis par les royaumes hellénistiques.
En 142 av. J.-C., le peuple de Judée s'affranchit de ses souverains hellénistiques et fonda le royaume hasmonéen. En 103 av. J.-C., Alexandre Jannaï, roi hasmonéen, conquit le port de Gaza et le nord du Néguev afin de taxer le lucratif commerce nabatéen. Cependant, les relations entre Hasmonéens et Nabatéens étaient bonnes, fondées sur un commerce équilibré. En 65 av. J.-C., Arétas, roi des Nabatéens, s'allia à Antipater et Hyrcan contre Aristobole lors de la guerre civile de succession en Judée.
Après les Hasmonéens, vint l'ambitieux Hérode, d'origine iduméenne. Il se rangea du côté de Rome, qui le nomma roi des Juifs. Il vainquit les derniers prétendants hasmonéens, alliés aux Nabatéens qui finirent par changer de camp. Pour consolider la nouvelle alliance après la mort d'Hérode, le roi des Nabatéens, Arétas IV, maria sa fille à Antipas, l'un des fils d'Hérode. Mais Antipas tomba amoureux de sa belle-sœur, Hérodiade, et répudia la fille d'Arétas. En représailles, Arétas mena une campagne contre Antipas et vainquit son armée. Cependant, la guerre n'étant pas propice aux affaires, le calme revint. Jusqu'à l'arrivée de Rome…
Car Rome convoitait également le lucratif commerce nabatéen. Après avoir vaincu les Juifs lors de la sanglante campagne de 66-73 ap. J.-C., les Romains prirent le contrôle des territoires utilisés par les Nabatéens pour leurs caravanes. Rome conclut un accord avec eux : le royaume nabatéen serait annexé à Rome après la mort de son roi, Rabbel II (70-106). Cela se produisit en 106 ap. J.-C., alors que Rabbel n'avait que 36 ans : fut-il aidé à mourir ? Nul ne le sait. Le commerce nabatéen se poursuivit pendant deux siècles, jusqu'à la christianisation de la région et de l'Empire romain. À l'origine, les Nabatéens, comme les Romains, étaient païens. Ils se convertirent progressivement au christianisme et se sédentarisèrent durant l'ère byzantine, qui débuta au IVe siècle. Ils transformèrent leurs campements nomades du désert en « villes » sédentaires, dotées d'églises. Le commerce nabatéen prit fin approximativement au VIe siècle, lorsque la population devint chrétienne sédentaire, bien que certains continuèrent à pratiquer des cultes païens, comme en témoigne le site d'Avdat.
Lorsque les Arabes conquirent la région en 636, les Nabatéens sédentaires se convertirent à l'islam, la religion des nouveaux maîtres. Ils disparurent alors définitivement en tant que peuple distinct. De surcroît, vers 630, un puissant tremblement de terre avait frappé la région. Les cités nabatéennes effondrées furent abandonnées aux sables du désert.
AVDAT (עבדת)
Le site fut découvert en 1870 par E.H. Palmer, un explorateur britannique. Cependant, une étude détaillée ne fut réalisée qu'en 1902 par A. Musil, et les premières expéditions archéologiques eurent lieu jusqu'en 1916. En 1958, les premières fouilles israéliennes commencèrent sous la direction du professeur Avi-Yonah.
Avant de devenir une cité nabatéenne, le site abritait un important caravansérail situé sur la route de l'encens traversant le désert du Néguev, entre Pétra et Eilat, et Gaza. Lorsqu'elle se développa et devint une ville, elle fut nommée Oboda, en l'honneur du roi nabatéen qui y régna de 96 à 85 avant notre ère. Ce roi mena des guerres contre les Hasmonéens et les Séleucides, et les vainquit tous deux. À sa mort, il fut divinisé et inhumé dans la ville. Le géographe grec du VIe siècle, Étienne de Byzance, écrit dans son dictionnaire des villes :
Oboda… où est enterré Obodis, le roi qu'ils divinisent. (Étienne de Byzance, édition Margarethe Billerbeck en 5 volumes, en anglais, disponible sur Archive.org)

Oboda est également mentionnée en grec sur les cartes antiques connues : sous la forme OPΔA sur la carte de Madaba et sous le nom d’Oboda sur la carte de Peutinger.

Sur la carte de Peutinger, on constate qu’à l’époque romaine, la route de l’encens ne traversait plus le désert du Néguev. Par exemple, on observe que, depuis Pétra, la route se dirigeait vers le nord jusqu’à Jérusalem (alors appelée Aelia Capitolina) puis vers la mer, généralement jusqu’au port d’Ashkelon.

Que voir à Avdat ?
Avant de visiter le site, il est recommandé de passer un moment au centre d'accueil visiteurs. Vous y trouverez des schémas, des cartes et des explications sur les plantes et l'encens que les Nabatéens commercialisaient. Un court-métrage de 3 minutes vous sera également proposé.

La ville est divisée en trois parties (nabatéenne, romaine et byzantine) construites sur une période d'environ cinq siècles. Si vous ne pouvez visiter qu'un seul site nabatéen en Israël, Avdat est un excellent choix car il présente tous les éléments architecturaux caractéristiques des autres sites nabatéens. C'est également le site nabatéen le plus important et le mieux préservé d'Israël.

Tour romaine, à l'entrée de la ville : une inscription en grec mentionne Zeus Oboda (Oboda divinisé) et l'année 188, à compter de l'an 106 de l'annexion des Nabatéens par Rome, soit l'an 294. Remarquez les arcades en pierre, étroitement disposées : il s'agit d'une architecture typique des villes nabatéennes, remplaçant les toitures en bois. Du haut de la tour, on jouit d'une vue panoramique sur les environs et les vestiges antiques.


Quartier résidentiel byzantin : rue principale bordée de maisons, système d’adduction d’eau (citernes, canaux)
Pressoir à vin, avant l'entrée de la ville : semblable à celui de Shivta (autre cité nabatéenne), avec deux chambres reliées par un canal souterrain pour le passage du jus de raisin. Une inscription voisine sur un autel mentionne le nom du roi Rabbel II, datée de 98 apr. J.-C.

La prétendue forteresse de 43 x 63 m : il s’agit en réalité du site le plus ancien, car c’était autrefois un caravansérail nabatéen. C’était une vaste place carrée pour les chameaux, avec une grande citerne au centre (qui recueillait les eaux de pluie et de crue) et de petites pièces autour pour les marchands itinérants. À l'époque romaine et byzantine, le site fut transformé en forteresse servant de refuge en cas de danger (attaques par des tribus nomades, par exemple). La variété des pierres utilisées pour sa construction permet de dater son utilisation : les pierres taillées au marteau indiquent une période ancienne, tandis que les pierres de taille uniforme (ashlar) témoignent d'une période romano-byzantine tardive.

Camp militaire romain, sur le versant est du caravansérail : on peut l’observer en empruntant un escalier métallique d’une tour de la forteresse. Ce camp a été découvert dans les années 1980. Mesurant 100 mètres sur 100, il est bien conservé et daterait du limes de Dioclétien (vers 300 apr. J.-C.). Les limes étaient les nouvelles frontières établies dans l’Empire romain, avec des camps militaires.
À l’extérieur du caravansérail, adossés au mur sud-ouest, se trouvent les vestiges d’un lieu de culte nabatéen, avec des panneaux explicatifs sur les dieux nabatéens. Ce lieu de culte fut établi vers le Ier siècle avant notre ère (d’après une inscription) et resta en activité jusqu’au IIIe siècle de notre ère, lorsque la ville commença à se convertir au christianisme. Ce lieu païen ne fut pas détruit, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, peut-être par respect pour les croyances anciennes et par souci de la protection divine de la cité.
Acropole : il s'agit du site cultuel byzantin abritant deux églises.

L'église nord : la plus ancienne d'Avdat. Elle fut construite sur les vestiges d'un ancien temple païen, comme en témoigne la réutilisation de certaines pierres. Des inscriptions concernant Oboda et d'autres membres de la famille royale nabatéenne y ont été découvertes, laissant supposer que l'ancien roi y était inhumé. Ces inscriptions datent de 286 apr. J.-C., plusieurs années après la mort du roi : cela témoigne du respect que la ville lui portait, même après la conversion de sa population au christianisme. L'église fut construite au IVe siècle apr. J.-C. et un baptistère pour adultes, ainsi qu'un baptistère pour enfants, y furent ajoutés en vue de la conversion massive de la population. Du belvédère de cette église, on peut admirer la vallée en contrebas, ainsi que d'autres sites d'Avdat, tels que les thermes byzantins en contrebas.


L'église sud : elle présente une architecture byzantine typique avec atrium et puits, narthex, trois nefs et trois entrées (une nef centrale plus large et deux latérales plus étroites), colonnes, tombeaux sous dalles de marbre (dont l'une porte une ménorah), etc. Des inscriptions datent de la période 541-618. Un martyr, Saint Théodore, y est mentionné. La présence d'habitations aux alentours laisse supposer qu'elle faisait partie d'un monastère abandonné lors de l'invasion arabe du VIIe siècle.

À l'extérieur de la ville, sur les pentes de la colline, se trouve une grotte funéraire romaine datant du IIIe siècle. Elle abrite plus de vingt niches funéraires creusées dans la roche, ainsi qu'un linteau orné d'objets de culte païen (soleil, lune, autel). Une inscription en grec mentionne les noms de prêtresses du culte d'Aphrodite.
Au pied de la colline, près de l'entrée du parc national, se trouve un établissement thermal datant de l'époque byzantine. Sa construction hors de la ville répondait à un besoin d'approvisionnement en eau.
À l'extérieur de la partie sud du parc national, on peut observer des activités agricoles : il s'agit de la ferme Even-Ari, créée dans les années 1960 pour expérimenter la culture de plantes et démontrer la viabilité de l'agriculture à Avdat selon des techniques ancestrales. En 2026, la récolte de raisins devrait être suffisante pour produire le premier vin.
Ceci n'est qu'un aperçu des principaux attraits de ce site archéologique important, qui recèle bien d'autres détails et de magnifiques paysages à découvrir.
J'espère que vous apprécierez votre visite d'Avdat la nabatéenne et du Néguev en général. Si vous souhaitez bénéficier d'un service de transport et de visite guidée avec prise en charge depuis votre lieu de logement, n'hésitez pas à me contacter ou à contacter l'un de mes collègues.
Albert Benhamou
Guide touristique privé en Israël
Kislev 5786, novembre 2025





