Histoire biblique et juive de Gaza
- Albert Benhamou
- Oct 20, 2023
- 8 min read
Updated: Apr 22
La ville de Gaza a 5000 ans d’histoire, mais, située sur la route entre différents empires, elle a toujours été sous le joug de dominations successives. Étant donné sa longue antiquité, elle aurait pu faire l’objet d’une attention particulière de la part des archéologues et, voire, être inscrite au patrimoine mondial de l’humanité (UNESCO). Mais le destin en a décidé autrement. Soulignons ici son riche passé.
ANTIQUITÉ
Son histoire commence à l’âge du bronze ancien, lorsqu’une première ville fut établie sur une colline au pied d’une rivière se jetant un peu plus loin dans la mer : Tell el-Ajjul. Ce site archéologique, partiellement fouillé dans les années 1930 par les Britanniques, ainsi que le Tell es-Sakan voisin, ont cependant été rasés par les bulldozers du Hamas en 2017.
Le pharaon Thoutmosis III, dit Napoléon d’Égypte, conquit Canaan vers 1500 av. J.-C., alors que les Hébreux prospéraient en Égypte (ils devinrent esclaves quelques années plus tard). La divinité de Gaza était alors Dagon, dieu-poisson protecteur de la cité maritime. Son nom signifie également chance et fortune en langue sémitique, à l'image du patriarche Gad, né de sa mère, Zilpa, concubine de Jacob, qui s'exclama : "La fortune est venue, et elle l'appela Gad" (Genèse 30:11).

PÉRIODE BIBLIQUE
Après la Sortie d'Égypte et la conquête de Canaan, Josué procéda au partage de la Terre promise entre les tribus d'Israël (voir la chronologie biblique). Gaza était théoriquement attribuée à Juda (Josué 15:47). Mais les Philistins habitaient la région et formaient une puissante pentapole de cinq villes : Gaza, Ashdod, Ashkelon, Gath et Ékron (Josué 13:3). Qui étaient les Philistins ? Les historiens s'accordent avec la Bible pour dire qu'ils faisaient partie des peuples de la mer venus de la mer Égée, dont Caftor (Genèse 10:14, Amos 9:7), identifié à la Crète, qui arriva sur les côtes du Levant. De plus, le nom Philistin, et donc Palestine, vient de l'hébreu פלשת qui signifie invasion. La plupart du temps, ces envahisseurs se contentaient de se mêler à la population cananéenne locale. Mais, dans le cas de Gaza, habitée par un peuple cananéen distinct, les Avvim (Deutéronome 2:23), la guerre éclata et la population locale fut massacrée. Le Peuple de la Mer s'installa à leur place. Quoi qu'il en soit, les Philistins furent principalement formés par le mélange des peuples mentionnés ci-dessus. Le Peuple de la Mer apporta à la région sa culture, son art et même ses techniques de guerre avec l'introduction du fer pour les armes, remplaçant le bronze. Avec les Philistins, la région entra ainsi dans l'âge du fer. (Pour en savoir plus sur l'histoire des Philistins, visitez le Musée de la Culture Philistine à Ashdod.)

Gaza fut également le théâtre d'une mésaventure du juge Samson : il tomba amoureux d'une prostituée de la ville et ses habitants voulurent lui tendre un piège lors de sa visite nocturne chez elle. Mais il s'échappa en emportant la porte de la ville (Juges 16:1-3). Samson tomba ensuite amoureux de la fatale Dalila et retourna à Gaza, mais cette fois en prison, affaibli par la trahison. Lors d'un banquet dédié à Dagon où il fut exhibé, il rassembla ses rares forces pour faire tomber le Temple sur ses ennemis et sur lui (Juges 16:21-30). Ce récit illustre le châtiment divin infligé à Samson qui, ayant connu une prostituée à Gaza, ce qui était interdit par les lois bibliques, fut ainsi puni à Gaza à cause d'une autre prostituée (pour en savoir plus sur Samson, cliquez sur cette page).

Au Xe siècle avant J.-C., le Royaume unifié se scinda en deux entre Jéroboam et Roboam : Gaza tomba dans le territoire de Jéroboam. Le prophète Amos prophétisa contre Gaza :
Ainsi parle l’Éternel : "À cause de trois crimes de Gaza, même de quatre, je ne le révoque pas ; parce qu’ils ont emmené des captifs pour les livrer à Édom." (Amos 1:6)
Pourquoi le texte passe-t-il de trois à quatre crimes ? Faut-il interpréter les trois crimes comme des crimes bibliques et en ajouter un quatrième pour les temps futurs ? En 2023 en date du 7 octobre fatidique ?
En fait, après la prophétie d’Amos, des désastres s’abattirent sur la cité philistine à trois reprises : les Assyriens avec Tiglat-Piléser, les Judéens avec le roi Ézéchias (2 Rois 18:8) et le pharaon Nécho (Jérémie 47:1-2). Gaza fut éradiquée, mais le Perse Cambyse II y reconstruisit plus tard une forteresse appelée Kadytis (Hérodote, Histoires, Livre II, 159). Elle devint la seule forteresse du Levant à résister à l'armée d'Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. : un siège de cinq mois fut nécessaire pour y mettre fin. Mais la forteresse finit par tomber et tous ses défenseurs furent vendus comme esclaves. (Source : E.J. Chinnock, The Anabasis of Alexander, 1884, pp. 135-139)
PÉRIODES HELLÉNISTE ET HASMONÉENNE
Avec l'époque hellénistique, une paix relative régnait sur un vaste empire homogène. Les nomades nabatéens, dont la capitale était Pétra, s'installèrent sur les ruines de Gaza et construisirent un port maritime pour l'exportation de leurs épices. À la même époque, le royaume hasmonéen s'établit en terre d'Israël et connut une expansion considérable sous le règne d'Alexandre Jannée vers 100 avant notre ère. Lui aussi s'empara de Gaza, la Nabatéenne, après un long siège (Josèphe, Antiquités juives, 13:1-3) ; il ne la détruisit cependant pas, car son objectif était de s'emparer du lucratif commerce des épices apportées par les routes du désert. C'est alors qu'il nomma Antipater, le père du futur roi Hérode, gouverneur de l'Idumée et inclut Gaza sous son gouvernement. La famille d'Hérode était originaire de Maréshah, en Basse-Judée, et avait fait fortune en élevant des colombes (Talmud, Chullin, 139b). Ceux qui visitent le site archéologique de Maréshah-Beth-Guvrin, ne manqueront pas de visiter ses gigantesques colombiers souterrains. Antipater était un fin politicien qui savait exploiter les dissensions entre les héritiers hasmonéens. Et lorsque le général Pompée intégra la Judée à la domination romaine en 63 av. J.-C., Antipater se rangea du côté de Rome. Il fut récompensé par la reconstruction de Gaza, puis par le choix de son fils Hérode comme "roi des Juifs".
PÉRIODE ROMAINE
Après la mort d'Hérode, Gaza reprit son essor en tant que cité romaine. Elle abritait de nombreux temples païens, dont celui dédié à Tyché, déesse de la Fortune comme Dagon-Gad : les Romains souhaitaient associer le culte antique de la ville au panthéon gréco-romain.

Gaza était dirigée par un grand conseil de 500 membres, composé de Grecs, de Romains, de Judéens et d'autres. Sous l'empereur Hadrien, qui souhaitait effacer les noms de Judée et de Jérusalem après la révolte juive de Bar-Kochba, vers 130 apr. J.-C., Gaza vit la construction d'un nouveau temple dédié au culte de Marnas, qui signifie Seigneur en araméen, et qui devint dès lors le culte principal de la ville (Nouvelle Encyclopédie des fouilles archéologiques en Terre Sainte, volume 2, article "Gaza").
CHRISTIANISME
Mais le christianisme se répandit dans la région à partir de l'an 250 de notre ère. L'évêque de Gaza, Porphyre, réussit à convaincre l'empereur byzantin de détruire les temples païens de la ville. Cette destruction fut réalisée en 402 et, à la place du grand temple de Marnas, une basilique dédiée à l'impératrice chrétienne Eudoxie fut érigée (F.G. Hill, Marc le Diacre : Vie de Porphyre, évêque de Gaza, 1913, p. 26-27 et p. 92).
GAZA JUIVE
Les Juifs ont été présents à Gaza depuis l'époque romaine, et même dans le conseil municipal. En 508, ils inaugurèrent la construction d'une synagogue, l'une des plus grandes d'Israël grâce à son architecture unique de cinq nefs (The New Encyclopedia of Archeological Excavations in the Holy Land, op. cit.). On estime qu'elle mesurait 30 mètres sur 26 mètres, avec une orientation est-ouest, comme le Temple de Jérusalem. Les fouilles archéologiques menées par Israël après la guerre des Six Jours ont révélé des mosaïques d'une beauté exceptionnelle, dont une célèbre représentant David jouant de la lyre. Son nom est écrit non pas en grec, mais en hébreu : דויד. Autour de lui sont représentés un lion, symbole de Juda, un serpent, symbole des temps messianiques, et une girafe, symbole de la grâce et de la sagesse. La grande mosaïque du sol est composée de médaillons représentant des animaux de l'époque, semblable à celle de l'autre synagogue de Ma'on découverte à l'est de Gaza, près de Nirim. Le sol en mosaïque de Ma'on peut être visité dans l'Enveloppe de Gaza, côté israélien. La mosaïque de la synagogue de Gaza peut être admirée au Musée du Bon Samaritain, sur la route entre Jérusalem et Jéricho.

PÉRIODE BYZANTINE TARDIVE
Vers la fin du Ve siècle, Gaza abritait l'école de Procope, sophiste et rhéteur chrétien. La ville apparaît également sur la carte byzantine de Madaba (VIe siècle) avec un cardo romain typique, une rue centrale nord-sud bordée de colonnades, et la grande basilique dédiée à Eudoxie.

En général, les Byzantins toléraient la présence des Juifs, quoique jusqu'à un certain point. Au VIIe siècle, la belle synagogue de Gaza fut détruite par un incendie dans des circonstances obscures (seules des mosaïques au sol subsistèrent sous les décombres). Mais cela entraîna le départ progressif des Juifs de Gaza. On ne trouve que peu de traces de leur présence pendant les siècles suivants, jusqu'à l'arrivée des Mamelouks d'Égypte qui régnèrent sur la région de 1260 à 1417. Les Juifs furent ensuite autorisés à retourner s'installer à Gaza. Sous la domination mamelouke, plutôt tolérante envers les Juifs, la communauté juive de Gaza était la troisième en importance après Jérusalem et Safed.
OTTOMAN
À l'époque de la domination ottomane (1417-1917), Meshullam de Volterra, un voyageur juif italien qui se rendit en terre d'Israël en 1481, écrivit :
C'est un endroit magnifique et réputé, et ses fruits sont très réputés et bons. On y trouve du pain et du bon vin, mais seuls les Juifs en font. Gaza a une circonférence de six kilomètres et est dépourvue de murs. Elle est située à environ dix kilomètres de la mer et est située dans une vallée et sur une colline. Sa population est aussi nombreuse que le sable de la mer, et on y compte environ cinquante (soixante) chefs de famille juifs, artisans. Ils possèdent une petite mais jolie synagogue, des vignes, des champs et des maisons. Ils avaient déjà commencé à produire du vin nouveau. […] Les Juifs vivent au sommet de la colline. Que Dieu les exalte. Quatre chefs de famille samaritains vivent également à flanc de colline. Au sommet de la Judecca (quartier juif) se trouve la maison de Dalila, où résida le puissant Samson. (Elkan Nathan Adler, Voyageurs juifs au Moyen-Âge, édition 2015, VIII Gaza, pp. 179-185)
Un autre personnage clé fut Nathan de Gaza (1643-1680), qui fit connaître au monde l'existence de Shabbataï Tsvi, le faux messie, dès 1663, alors que Tsvi séjournait à Gaza. Nathan déclara même Gaza "ville sainte" et se fit passer pour le prophète Élie qui, selon la tradition juive, annoncerait la venue du Messie. Et Nathan déclara effectivement que Tsvi reviendrait à Gaza en 1666 pour inaugurer son règne messianique… Pourquoi 1666 ? Le nombre 666 avait une valeur mystique dans les mondes chrétien et juif. Dans le monde juif, de nombreuses personnes se laissèrent prendre à ces prophéties, ce qui provoqua des troubles en Europe. Tous les Juifs espéraient que Zvi les ramènerait en Terre promise, comme le prévoyaient les Écritures. Mais Nathan se laissa emporter par ses propres convictions lorsqu'il déclara qu'il se rendrait à Constantinople avec Zvi pour lui remettre la couronne du sultan ! Au lieu de cela, le sultan fit emprisonner Zvi et menaça de l'exécuter s'il ne se convertissait pas à l'islam. Devinez ce que Zvi choisit !
TEMPS MODERNES
C'est pendant la Première Guerre mondiale que Gaza refit parler d'elle. L'armée britannique rencontra la résistance turque en 1917, mais la ville finit par tomber en novembre. Le général Allenby fit une entrée triomphale à Jérusalem pendant la fête de Hanoukka en décembre 1917. Le reste de la Terre d'Israël suivit et tomba aux mains des Britanniques.
Au XXe siècle, Gaza faisait partie de la Palestine mandataire et, après la guerre de 1948, la bande de Gaza abrita des camps de réfugiés arabes. Depuis 2007, cette région est sous le contrôle du Hamas. Mais, après la guerre actuelle entre le Hamas et Israël en 2023, l'avenir de la ville redevient incertain. Le tourisme pourrait ne jamais prospérer dans cette ville. Cependant, l'enveloppe de Gaza regorge de sites intéressants, liés à l'histoire, à l'archéologie, à l'agriculture et, bien sûr, à la géopolitique. Si une telle visite vous intéresse, n'hésitez pas à faire appel aux services d'un guide touristique certifié par le ministère du Tourisme, avec un véhicule pour vous y conduire.
Albert Benhamou
Guide touristique francophone en Israël
Octobre 2023