De Megiddo à Armageddon
- Albert Benhamou
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Un des sites archéologiques les plus visités en Israël est celui de Megiddo (prononcer Méguido) sur le flanc oriental du mont Carmel, et faisant face à la vaste plaine de Jezréel qui est le lieu de la bataille messianique d'Armageddon selon le livre de l'Apocalypse. Inutile de dire que nombre de visiteurs chrétiens se rendent sur ce lieu. On parle beaucoup de temps messianiques en ce moment, tant chez les Juifs que chez les Chrétiens, et il est alors utile de faire connaitre ce lieu vers où tant de regards se tournent.
Cet article a donc pour but de répondre à ces questions: quelle est l'histoire de Megiddo? Que peut-on y voir? Pourquoi le livre de l'Apocalypse déclare que là se tiendra la bataille finale de la fin des temps?
Histoire de Megiddo
Notons tout d'abord que le site est reconnu comme faisant partie du Patrimoine Mondial de l'UNESCO depuis 2005. Pour en savoir plus sur ces sites particuliers en Israël, cliquez ici. Car Megiddo est un "Tel" (ou Tell) à savoir une colline sur laquelle se sont succédées plusieurs générations d'établissement humain par des destructions et reconstructions successives. Il y a eu plus d'une vingtaine de telles successions à Megiddo.
L'histoire de Megiddo a commencé dès l'âge du Bronze Ancien, il y a environ 4500 ans, lorsque l'humanité a commencé à construire des "villes" en Mésopotamie et aussi en terre d'Israël. Le culte commençait alors à devenir important et ces premiers habitants ont construit un autel de sacrifice à Mégiddo, de forme circulaire avec quelques marches pour y accéder. Car qui dit culte dit élévation: les sacrifices devaient être réalisés sur une plateforme appelée bama en hébreu.

Mais, il y a un peu plus de 4000 ans, l'époque du Bronze Ancien s'est brusquement achevée, et les villes ont été d'un coup abandonnées sur une période assez courte de 100-200 ans. L'Histoire n'a toujours pas expliqué de façon définitive la raison de cet abandon qui n'est pas lié à un site particulier mais a été général dans tout le Croissant Fertile, depuis la Mésopotamie jusqu'en Égypte. Pour les croyants en la Bible, l'explication est simple: le Déluge en a été la cause, donc ce ne fut pas un abandon et une punition divine qui a effacé d'un coup l'humanité. Ce cataclysme a trouvé écho dans des récits anciens trouvés par l'archéologie (pour en savoir plus, cliquez ici).
Puis la vie reprend. Les hommes s'installent de nouveau à Megiddo. Mais, avec la fabrication d'outils et armes en bronze, et les guerres qu'ils causent, le type d'urbanisation change: c'est l'époque du Bronez Moyen et l'émergence de cités-états fortifiées. La région devient connue sous le nom de Canaan. Megiddo voit apparaitre sa première muraille défensive et sa première porte d'accès à la ville.

Ces cités cananéennes étaient souvent en conflit l'une contre l'autre jusqu'à ce qu'un envahisseur puissant (l'empire hittite) vienne les assujettir et faire régner l'ordre. On entre alors dans la période biblique des Patriarches (par exemple, pour suivre le patriarche Abraham en Canaan, cliquez ici). Dans le reste du Croissant Fertile, mêmes bouleversements causés par la création d'empires: Hammurabi (le Nimrod biblique) construit un empire en Mésopotamie (pour en savoir plus, cliquez ici), alors que des envahisseurs venus d'Asie, les Hyksos, font la conquête de la Basse-Égypte et s'y installent durablement (pour en savoir plus, cliquez ici) jusqu'à ce que le fondateur de la 18è dynastie, Ahmosis I, ne réussisse à les en expulser. C'est sous ce pharaon que commence la période des Hébreux en Égypte et elle dure jusqu'à la fin de la 18è dynastie, l'une des plus prospères de l'histoire égyptienne. ET c'est sous cette dynastie que le pharaon Thoutmosis III fait la conquête de Canaan et de ses cités-états dont Megiddo qui lui coûta toutefois 7 longs mois de siège. Canaan passe alors sous domination égyptienne jusqu'à l'arrivée des Hébreux, devenus le peuple israélite après leur Sortie d'Égypte (pour sa date, toujours sujette à controverse, cliquez ici), vers 1250 avant notre ère.
Malgré la conquête israélite de Canaan, Megiddo garde son indépendance et ce jusqu'au roi Salomon qui en fasse une des trois capitales administratives et militaires pour le district central de son royaume. La porte israélite de la ville, distincte de la porte cananéenne, est construite selon un même plan pour ces trois villes d'importance (pour en savoir plus, cliquez ici). Après sa mort vers 928 avant notre ère, Megiddo passe sous le contrôle du royaume israélite du nord, un royaume impie en conflit avec le royaume de Judée où régne la dynastie légitime issue de David et de Salomon.
Usant de ce conflit fratricide entre les deux royaumes israélites, le pharaon Shoshenq (le Shishak biblique) de la 22è dynastie mène campagne contre les cités israélites vers 925 avant notre ère, et inscrit Megiddo sur un mur du temple de Karnak comme une de ses victoires (pour voir cette inscription et en savoir plus, cliquez ici). De plus, c'est à Mégiddo que fut trouvé un fragment de stèle de victoire mentionnant Shishak.

Megiddo atteint son apogée sous le règne d'Omri roi d'Israël au 8è siècle avant notre ère: des fortifications supplémentaires sont érigées, le système d'alimentation en eau de la ville est améliore, et ainsi de suite.
Mais c'est aussi l'époque de la montée en puissance d'un autre empire du nord: l'Assyrie. Le roi Téglath-Phalasar III conquiert Megiddo en 733 avant notre ère. Le royaume d'Israël finit par tomber à force de campagnes assyriennes successives en 722 avant notre ère. Un grand nombre d'Israélites fuient la guerre dans le nord et se réfugient dans le royaume voisin de Judée autour de sa capitale, Jérusalem. Les autres sont déportés au confins de l'empire assyrien et deviennent ce qu' l'on amène communément les dix tribus perdues d'Israël.
L'empire assyrien tombe à son tour sous le coup d'un général babylonien: Nabuchodonosor. Une grande coalition essaye de le vaincre à la bataille de Karkar, sans succès, en 609 avant notre ère. Mais le passage de l'armée égyptienne du pharaon Nécoh à travers le royaume de Judée cause une friction avec le roi pieux Josias qui est exécuté en face de Megiddo. Le royaume de Judée, et le reste du Levant, est enfin conquis par Nabuchodonosor en 604 avant notre ère. C'est lors de cette campagne que la ville le Lakish, la plus importante de Judée après Jérusalem, tombe une seconde fois comme prouvé par des inscriptions retrouvées lors de ses fouilles archéologiques dans les années 1930 (pour en savoir plus, cliquez ici). Jérusalem finit par tomber, en son temple de Salomon détruit, en 586 avant notre ère. La Judée se vide et Megiddo est abandonnée. Abandonnée à jamais mais elle fait encore parler d'elle...
À partir de l'ère hellénistique, les cités antiques installées en haut de collines (les fameux "Tel") sont abandonnées au profit de nouvelles cités au pied de ces collines: c'est le cas de Megiddo et bien d'autres. Pourquoi? Parce que, pour la première fois dans l'histoire, de très grands empires prennent possession de très vastes térritoires et donc la paix règne à travers tout un empire. Quels sont ces empires? Successivement l'empire babylonien, puis perse, puis hellénistique, puis romain et ainsi de suite.
C'est lors de l'empire romain que la VIè légion s'installe près de Megiddo. Ce site est appelé Legio par les Romains puis el-Lejiun par les Arabes: c'est le même mot.
La terre d'Israël s'engourdit alors pendant les quelques 1300 ans de domination musulmane et ce jusqu'en 1918. Juste avant la fin de la Première Guerre Mondiale, les Britanniques sous le commandement du général Allenby finissent la conquête de la terre d'Israël et en expulsent les Ottomans (devenus Turcs) qui ont régné sur la région pendant 400 ans. Comment Megiddo a été prise en 1918? Allenby, qui connaissait la Bible et l'Histoire, avait lu que le pharaon Thoutmosis III avait fait la conquête de cette ville antique en tombant par surprise après avoir traversé la passe d'Aruna au travers du mont Carmel. Quelques 3400 ans séparent les deux conquêtes par la même tactique ! L'avenir appartient à ceux qui connaissent l'Histoire !! Heureusement, aujourd'hui, on peut traverser cette passe en conduisant. Mais lors de votre conduite, regardez sur votre droite pour identifier le lit du petit cours d'eau que les conquérants avaient suivi pour tomber par surprise sur Megiddo.
Allenby, un croyant de surcroît, a obtenu la pairie pour la conquête de la Terre Sainte. Avant d'entrer dans la Chambre des Lords à Londres, il a dû choisir un titre: il a choisi le titre de Lord d'Armageddon. Le nom Armageddon est en fait la transposition en grec (Ἁρμαγεδών) de l'expression Har Megiddo en hébreu, qui veut dire la montagne de Megiddo. Pour certains, sa campagne fulgurante accomplit une prophétie biblique. Et c'est là, selon l'Apocalyse de Jean, que se tiendra la bataille finale de la fin des temps entre les forces du Mal et les forces du Bien:
Et ils se rassemblèrent en un lieu que les Hébreux appellent Armageddon. (Apocalypse de Jean, 16:16)
D'ailleurs le nom Allenby s'écrit ainsi en hébreu : אלנבי. Or, si on permute les deux syllabes en les écrivant נבי אל, cela signifit Prophète de Dieu !
Histoire de fouilles archéologiques à Mégiddo
Le premier à avoir eu l'intuition du lieu biblique fut Robinson (celui qui a donné son nom à l'arche Robinson des vestiges du Second Temple) vers le milieu du 19è siècle. Le site s'appelait Tell el-Mutsellim en arabe.

Au début du 20è siècle, les Turcs ont eu le projet de construire une voie de chemin de fer du Hejaz pour relier Haïfa à Damas. Un certain Gottlieb Schumacher, un membre des Templiers en Palestine (pour en savoir plus, cliquez ici), fut employé pour faire une reconnaissance du terrain sur le tracé envisagé et, ce faisant, fit l'exploration de plusieurs sites dont Megiddo. Cependant les fouilles archéologiques se sont déroulées pendant le mandat britannique entre 1925 et 1939 par une équipe de l'université de Chicago: ce sont eux qui avaient dégagé le site cultuel et avaient creusé une énorme tranchée au travers de la colline pour y accéder. Cette tranchée est encore visible aujourd'hui et marque le site.

Anecdote: les palmiers-dattiers que l'on trouve sur le site de Mégiddo (comme sur la photo ci-dessus) ne sont pas d'époque ancienne. Il s'agit de palmiers qui ont poussé à partir de noyaux de dattes que les travailleurs arabes du début du 20è siècle mangeaient lors des fouilles archéologiques et jetaient sur place !
Puis, après l'établissement de l'état d'Israël, les fouilles ont été poursuivies par Yigal Yadin (celui qui fit les premières fouilles à Massada) dans les années 1960. Dans les années 1990, ce fut le tour d'Israël Finkelstein, puis de David Ussishkin. C'est dire que le site Megiddo a été fouillé pendant une bonne centaine d'années !
Que voir à Megiddo?
Le site est géré par l'Autorité des Parcs Nationaux, donc son entrée est payante pour une somme modique. Dans le bâtiment d'acceuil des visiteurs, ne manquez ni l'exposition, la maquette, l'histoire des fouilles, le film d'une dizaine de minutes, et même les photos de la visite historique du Pape Paul VI en Israël en 1964: Armageddon est dès lors sur la carte des pélerinages chrétiens.

Voici les principaux lieux à voir sur place:
Porte cananéenne: avec deux cellules de gardes de chaque côté, orientée vers le nord; pierres de calcaire et de basalte (couleur sombre). Les portes à 2x2 cellules sont typiques des villes cananéennes. Celle de Megiddo a énsuite été incorporée au système de portes à l'époque israélite avec l'ajout d'une porte 3x2, typique de l'époque de Salomon et des rois judéens qui lui ont succédé. Entre la porte cananéeen et la porte israélite ajoutée, il y a un espace qui était comme une agora des cités grecques, à savoir un espace public de rencontre entre marchands de la ville et fournisseurs arrivés de l'extérieur. On retrouve cette disposition dont nombre de cités cananéennes restaurées plus tard à l'époque israélite.
Palais nord : en ruines, probablement datant de Salomon ou d’Ahab ; de là, on peut admirer le panorama de la vallée de Jezréel qu'on peut voir jusqu'aux monts Tabor et Guilboa: c'est la vallée d'Armageddon !
Zone cultuelle : plusieurs temples y avait été construits les uns sur les autres. L'autel circulaire de l'époque du Bronze Ancien, avec escalier pour s'élever vers la bama, est antérieur aux temples cananéens construits par la suite. Sa forme ronde symbolise la pleine lune. Cette zone cultuelle, païenne, a été utilisée sans discontinuité jusqu'à la monarchie israélite sur la région.
Palais sud : il ne reste rien de ce lieu, si ce n'est d'évoquer la découverte du "lion de Megiddo" en cet endroit en 1904 par Schumacher. Ce lion rugissant est un sceau en jaspe qui porte l'inscription en proto-hébreu: "Shem'a, serviteur de Jéroboam." Lors de sa découverte, ce sceau était le plus ancien portant le nom d'un roi d'Israël, Jéroboam II. Malheureusement, le sceau fut perdu après son envoi à Istanbul. Mais une empreinte en bronze avait été réalisée avant son envoi. Notons que ce sceau appartenait à un officiel du roi d'Israël alors que le lion est symbole de Judah. Mais Jéroboam II, malgré qu'il ait été un roi impie comme tous les rois d'Israël, avait eu une politique retenue envers le royaume de Judée. Aussi il bénéficia d'un long règne de 41 ans. Il semble qu'il ait lui aussi utilisé le lion comme symbole, non pour prétendre au trône de Judée, mais comme sylbole de puissance. D'ailleurs le prophète Amos, contemporain de Jéroboam II, n'a-t-il pas déclaré à son encontre Le lion a rugi, qui n'aurait peur? (Amos 3:8)

Silo à grains, datant du roi d'Israël Jéroboam II (8è siècle avant notre ère), de forme circulaire avec un escalier de pierre pour y descendre; il a une capacité de 450 m3.

Écuries : comme expliqué ici, Megiddo est devenu une capitale administrative et militaire dès le règne de Salomon. Les chars, et les chevaux, étaient à cette époque un atout militaire majeur et, les Hyksos les avaient d'ailleurs utilisés dans leur conquête de l'Égypte alors que leur ennemi n'avait pas encore acquis cette technologie. Ensuite, à l'époque cananéenne, la prise des chars cananéens de Megiddo a été un moment noté lors de la campagne de Thoutmosis III. Dans la Bible aussi, on mesurait la puissance d'une armée par son nombre de combattants et son nombre de chars (et non en nombre de cavaliers). Il semble que le nombre de chars et de chevaux a été le plus elévé sous le règne du roi Ahab d'Israël qui, selon la Bible, a envoyé 2000 chars pour se battre contre les Assyriens.
Le système d'eau : l'alimentation en eau d'une ville antique était l'un des trois critères fondamentaux de son existence. Dans le cas de Megiddo,une source naturelle existe mais elle se trouve au pied de la colline, comme c'est le cas avec la source du Gihon à la Cité de David à Jérusalem. Comment accéder à cette source extérieure à la ville en cas de siège? Les Cananéens avait construit un passage caché à flanc de colline qui a perduré jusqu'au règne de Salomon. Puis, un système plus élaboré a été construit, et est visible encore aujourd'hui: un puits a été creusé dans la ville sur une profondeur de 36 mètres; puis on a creusé un tunnel quasi horizontal de 70 mètres de long, qui passait sous les murailles de la ville jusqu'à atteindre la source d'eau. Ce système creusé à même la colline était ainsi caché des yeux des assaillants. De l'autre côté, au niveau de la source, il fallait aussi cacher son existence: un mur massif en pierres avait été construit pour bloquer l'accès à la source depuis l'extérieur. Attention: avant de vous engager à l'intérieur du système d'eau, prenez en compte qu'il y a 183 marches à descendre puis 80 marches à monter; et, en final, on aboutit forcément en dehors de la ville antique et qu'il faut revenir au centre de visiteurs par le chemin d'environ 600 mètres qui contourne la colline. Ceux qui souffrent de claustrophobie doivent s'abstenir de faire ce circuit souterrain.

Armageddon
Après avoir exposé l'histoire du site et ce qu'il y a à voir, il nous reste à répondre à la question: pourquoi le livre de l'Apocalypse déclare que là se tiendra la bataille finale de la fin des temps? Le texte de l'Apocalypse reprend en fait quelques prophéties bibliques d'Israël. Et une prophétie en particulier parle du dernier combat entre les forces du Bien et du Mal, un combat que Dieu emportera après de lourdes pertes humaines pour le peuple d'Israël :
En ce jour, je m'appliquerai à détruire toutes les nations venues contre Jérusalem. (...) En ce jour, il y aura grand deuil à Jérusalem, comme fut le deuil de Hadad-Rimon dans la vallée de Megiddon. (Zacharie 12:9-11)
Zacharie était un des derniers prophètes d'Israël. Tout son livre est prophétique. De quel deuil à Jérusalem parlait-il comme ayant été causé dans la vallée de Megiddon? Celui de la mort du bon roi Josias exécuté devant Megiddo par le pharaon Nécoh. Le corps du roi a alors été emporté à Jérusalem pour y être inhumé. (II Rois 23:29) Donc, d'après Zacharie, la population de Jérusalem, assaillie par toutes les nations à la fin des temps, pleurera leurs morts comme elle avait pleuré la mort de Josias.
Les écritures juives et chrétiennes parlent donc en effet de la plaine en face de Megiddo comme le lieu de la dernière bataille à la fin des temps.

Le site archéologique de Megiddo est accessible en voiture sur la route 66, proche de l'accès à la route 6. Attendez... 66 et 6 font 666: cela ne vous rappelle rien? C'est à se demander si les officiels qui ont décidé du nom des routes nous ont fait un clin d'oeil !

Albert Benhamou
Guide touristique francophone en Israël
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